lundi 22 février 2010

Entretien avec Sabine Massenet : l'intelligence des images justes


Sabine Massenet est née en 1958 et vit à Paris. Plasticienne à l’origine, enseignante en Arts Plastiques depuis 1981 (professeur de la Ville de Paris), elle a créé, depuis dix ans, une œuvre vidéo riche d’une vingtaine de titres dont certaines sont distribuées par Heure Exquise !
Sabine Massenet explore le portrait, une thématique récurrente dans son travail, en relation avec la narration et le langage. Sa recherche explore également, par le biais de la notion de fragment, « la résonance des images dans la mémoire collective ou privée » (1), ce qui en fait un équivalent vidéo de l’œuvre de Christian Boltanski. Elle crée aussi des vidéos pour le théâtre : Je comprends moi aussi le langage des oiseaux et Un chant venu d’horizons inconnus à partir des lettres de prison de Rosa Luxemburg, en 1999 ; et pour les spectacles "Paysages 1" de Ulrich Füncke, "La vita Alessandrina" de Stéphane Olry mis en scène par Xavier Marchand pour le Festival d’Automne 2002, et "Shot" de Patrick Bouvet mis en scène par Véronique Caye à la Ménagerie de Verre en 2002.
Ses vidéos sont présentées régulièrement dans de nombreux festivals français et étrangers. Une soirée monographique lui est consacrée en juin 2004 à la Cinémathèque française et en avril 2005 le festival Némo présente l’ensemble de son travail au cours d’une séance « Focus ». « Une œuvre à soi » : rencontre entre Sabine Massenet et l’écrivain Tanguy Viel s’est tenu le 26 avril 2007 à la bibliothèque Elsa Triolet de Bobigny. Elle est exposée actuellement au sein de « Télémétries, artistes et télévision » à la galerie Villa des Tourelles à Nanterre (7 février – 26 mai 2007). Les Trois lumières ont l’honneur de l’accueillir pour impaKt #3 : « Flux » le 14 juin 2007 à l’INHA.


Bidhan Jacobs : Qu’est-ce qui t’a donné envie de passer au cinéma ?

Sabine Massenet : Je suis toujours allée beaucoup au cinéma : j’aime le cinéma américain, Keaton, Lubitsch, Wilder, Mankiewicz, les Marx Brothers, Hitchcock… les français, Renoir, Rivette, Rohmer, j’ai également une passion pour les westerns d’Anthony Mann, de Peckinpah, les films noirs et même les séries b et z ; l’image en mouvement m’a toujours fascinée. J’ai rencontré une personne du cinéma expérimental, Martine Rousset, puis Miles Mac Kane et Yann Beauvais. Je suis allée beaucoup aux soirées Scratch (organisées par Light Cone). J’étais très intéressée, et en même temps beaucoup d’œuvres m’ennuyaient lorsqu’elles étaient trop formalistes. Des œuvres sont expérimentales pour l’expérimental, accumulent les recherches formelles d’une façon gratuite et refusent catégoriquement la fiction. Trop de formes, ça enlève le mystère, trop de choses dites enlèvent aussi le mystère. On expérimentait beaucoup de choses dans les années 30-40 mais ça avait du sens, c’était en relation avec les arts plastiques. Les films de Len Lye par exemple ont beaucoup de sens par rapport à leur époque. Donc voilà, je me suis dit que j’allais peut-être commencer à faire de la vidéo et je suis allée voir les vidéos de la collection de Beaubourg. J’ai pratiquement tout vu (Chris Marker, Matthias Müller, Jean-Luc Godard, Bill Viola, etc.). Là, ça m’a décidé. Et puis comme j’en avais assez d’avoir des galères d’ateliers, de locations d’ateliers, je me suis dit qu’avec la vidéo, je pouvais travailler chez moi, que je n’avais pas besoin d’atelier, que je ne serais plus encombrée par toute cette matière. J’ai acheté une caméra Hi8, le numérique n’existait pas, en tout cas, pas pour quelqu’un qui avait peu de moyens. Et je l’ai revendue, il y a pas longtemps, pour m’acheter une mini-DV. J’ai acheté de quoi monter chez moi. Je fais tout moi-même : le montage, prises de vue s’il y en a, je récupère beaucoup d’images aussi… A ce propos, pour La Consultation, c’était que des slogans apparaissant dans les publicités à la télé. J’ai beaucoup bidouillé. Ils sont superposés, j’ai enlevé tout ce qu’il y avait autour, j’ai fait un travail de caches en vidéo. Plus les floutés, ça je l’ai rajouté. Il fallait qu’on lise les phrases et qu’on les perde aussi. C’est en faisant d’autres films sur la publicité que celui-là est arrivé parce que j’ai lu tous ces slogans…

B. J. : Que penses-tu du gang anti-pub ?

S. M. : Je trouve ça très bien. J’ai des amis qui en font partie. La seule chose que je leur reproche, c’est le manque d’idées pour tagger les pubs. Parfois leurs slogans peuvent être très drôles. Mais, sur le plan esthétique, ou même les méthodes de recouvrement, je trouve qu’il y aurait des idées bien mieux à avoir, à travailler. Si l’impact visuel était plus fort, ça aurait un impact politique aussi plus fort. Sans ça, je trouve que l’attaque de la pub c’est une façon d’attaquer le reste, de parler du reste : la façon dont notre regard est canalisé, finalement on nous prend pour des consommateurs. La pensée, le service public, l’entraide, le partage, toutes ces idées sont abandonnées au profit, pour le profit, pour l’idée simplement de dire aux gens « consommez !, vous n’êtes bon qu’à ça ! ». J’enseigne à de très jeunes élèves : leur seule et unique préoccupation en gros c’est la consommation. C’est la pub. Il n’y a qu’à regarder la télé le matin, c’est du matraquage. Dès sept heures, c’est pour les mômes. C’est un peu leur seule référence.

B. J. : Pour La Consultation alors, quels seraient les sens de l’utilisation que tu fais du flou ?

S. M. : Si j’ai mis ces images-là avec la consultation chez l’ophtalmo, c’est que de façon métaphorique, j’ai l’impression que ma vue baisse. Bon, c’est aussi une réalité, comme beaucoup de gens de mon âge, et donc il y a plein de moments, quand je suis fatiguée, où je vois flou. En l’occurrence ces images publicitaires, c’est plus une pollution du regard, un écran qui se met devant le regard et qui empêche justement de voir le reste. De plus, ces slogans arborent sans cesse des promesses, sur le bonheur, sur la vie, qui sont finalement de l’ordre de l’intime des gens. C’est aussi une façon de démontrer qu’ils font disparaître une autre façon de voir les choses, une autre façon de regarder le monde. On a une façon de parler complètement univoque qui obstrue tous les autres langages et toutes les autres choses à voir finalement. Le flou joue sur deux niveaux : à la fois sur l’action que ces slogans ont sur la perception des gens qui les lisent et l’action en temps de cinéaste qui est de détruire ces slogans.

B. J. : J’ai été tout de suite subjugué par la maîtrise, par la beauté plastique de Transports amoureux.

S. M. : Ca, ça me tient à cœur… Je suis fascinée par certaines images qui possèdent quelque chose de l’ordre du mystère. Il y a des images comme ça qui fascinent. Par exemple, je trouve que les images des séries américaines sont remarquables. J’ai appris que Truffaut a été lui-même séduit par Dallas en son temps. Il y a une esthétique particulière, une façon de tourner en intérieur, le travail sur la couleur est étonnant. Certains plans sont d’une telle force plastique, comme les plans de personnages de dos. Je crois que beaucoup de réalisateurs contemporains, beaucoup plus qu’on ne croit, ont été influencés par les séries télé. David Lynch, par exemple. Notamment dans Mulholland Drive. Ce qu’il a réussi à faire c’est de sortir le mystère caché dans ces images télévisuelles.

B. J. : Quelle est la genèse de Transports amoureux ?

S. M. : Depuis des années, je collectionne des textes extraits des messages personnels de la rubrique « Transports amoureux » de Libération. Psychanalytiquement parlant, tout ce film parle du fait qu’il n’y a pas de rencontre possible, d’une certaine manière, en tout cas dans ce contexte-là. Et si les gens se rencontrent dans le métro c’est une façon d’échapper à l’autre aussi, c’est-à-dire qu’on est toujours obligé de sortir du métro parce qu’on va à telle station, ou parce que ça va vite… Et peut-être qu’il y a aussi une mise en condition, qu’on est dans un autre état d’esprit quand on est dans le métro ou dans le train. Je regarde beaucoup les gens, parce que j’aime beaucoup les regarder, je les trouve passionnants. Regarder les visages, les façons de se déplacer. Et puis aussi c’est un lieu où je rêve et pense beaucoup. C’est un peu ça la genèse du film. Je m’étais rendu compte que beaucoup de gens les lisaient, que ça les amuse, et que derrière le fait de lire, on a peut-être l’impression qu’il y en a toujours un qui s’adresse à vous. On sait très bien que non, mais… Donc je collectionnais ces petites annonces depuis deux ans et demi, je les découpais et les collais dans de petits carnets. Je me suis dit que j’aimerais bien faire quelque chose de ça, entendre des voix qui disent ça, mais je n’avais pas du tout d’image. C’est un peu comme pour le film La Consultation, à un moment donné, c’est toujours une rencontre de deux choses. Un jour, j’étais chez ma sœur qui habite une boutique dans Paris. Ils ont fait mettre un verre sablé dans la boutique pour ne pas qu’on les voie de l’extérieur. Je me souviens, c’était la première fois qu’ils l’avaient mis, et je regardais les gens passer, comme des ombres colorées et là je me suis dit : voilà ça y est, j’ai le film. C’est simplement en les regardant passer. Par contre, il n’y a aucune retouche d’image, pas d’effet. Le flou est « naturel ». Et je n’ai ni touché le contraste ni la lumière. Je suis allée filmer avec un copain, à deux caméras, pour faire des essais avec la sienne et la mienne. Finalement on a fait tourner les caméras et on est sorti sans rien contrôler. J’avais quatre heures de rushes. Finalement, j’ai pris d’ailleurs ce que sa caméra avait filmé parce que la couleur était un peu meilleure, plus près de la réalité de la vitrine, ainsi que le cadrage, parce que sur la mienne on voyait un peu le bord. C’est l’image brute. Par contre les ralentis, ça oui. Le cadre, c’est très exactement la vitrine. Je trouvais que la proportion entre la largeur et la hauteur de cette vitrine, c’était exactement un écran. C’est un écran parfait. Le point a été fait sur la vitre. Mais j’ai eu des problèmes. Le point a eu parfois des difficultés à se faire, mais j’avais mis une feuille de papier et je l’ai fait manuellement.

B. J. : C’est vrai qu’en regardant le rendu de l’image, c’est flou mais c’est aussi net et granuleux.

S. M. : Oui, oui c’est granuleux. Et si tu regardes bien il y avait parfois des petites taches d’eau sur la vitrine. Plus les gens s’approchent de la vitrine, plus ils sont nets. Comme la première image du petit enfant avec sa mère, si tu regarde bien la manche est près de la vitre et est beaucoup plus nette que le reste. Le seul travail après, c’est le fait que je les ai figés, j’ai ralenti les mouvements, etc. J’ai retenu certaines personnes, celles qui me semblaient correspondre aux voix enregistrées. Il y a eu beaucoup de montage…

B. J. : A propos du montage, est-ce que tu as tout de suite senti la forme que tu allais lui donner ?

S. M. : Non. Ca a été très long. J’ai fait beaucoup d’essais de vitesses, de ralenti, de rythme. J’ai pensé le faire plus long aussi, et puis je me suis rendu compte que j’étais arrivée à vingt minutes et que c’était beaucoup trop long, on se lassait. Ca commençait à devenir quelque chose de trop systématique, il fallait arrêter à un moment donné. J’ai donc enlevé des annonces. Il y a une chose aussi qui a changé, c’est que finalement je n’ai retenu que les annonces qui concernaient les transports, alors qu’il y en avait d’autres, il y en avait où les gens se rencontraient dans un café ou un bar. Parce que tous ces déplacements, ça travaille sur l’impossibilité de rencontre. Je trouvais que c’était plus juste par rapport à l’image.

B. J. : Choisir les images arrêtées, cette forme très particulière de l’image fixe…

S. M. : C’était une façon de dire qu’au moment où la personne écrit l’annonce, elle essaie de fixer un instant, de fixer une image de l’autre, un moment de l’autre, qui va forcément s’échapper. Ces annonces, je suis persuadée que ce sont des bouteilles jetées à la mer. J’en ai mis une pour voir ce que ça donnait, avec quelque chose qui s’était passé avec quelqu’un dans le métro. Ca n’arrive pas souvent, mais ça arrive. Et bien je n’ai rien eu. Qui sait si la personne va lire Libé ce jour-là ? Cette personne lit-elle d’ailleurs Libé ? Et va t-elle se reconnaître ? Est-ce que l’interprétation de l’autre, d’un regard, ce n’est pas juste une interprétation ? C’est comme si la personne essayait de figer l’image de l’autre, tout en la réduisant bien sûr… C’est une sorte de reconnaissance, en même temps dans le film c’est tous des anonymes. Et la personne, elle reste forcément anonyme aussi.

B. J. : Tu parlais de rythme, est-ce pour une question de rythme que tu as choisi de faire apparaître ces ombres ou figures très progressivement, en faisant varier la vitesse d’apparition ?

S. M. : Il y a une question de rythme, mais aussi l’idée que c’est toujours le même fond. Le fond c’est comme une toile, et là je suis comme en train de faire de la peinture. Le film est une peinture en train de se faire. Comme le portrait, entre guillemets, qui est à l’œuvre. Les apparitions-disparitions sont des images en train de se faire et de se défaire sur une toile de fond qui ne change jamais. C’est un peu comme des fantômes, des personnages fantomatiques qui apparaissent et disparaissent dans le champ. Tout ça a un rapport avec cette histoire de petites annonces, c’est-à-dire que les personnes rencontrées comme ça, croisées, sont des apparitions aussi, elles ne sont plus vues. Ca a un rapport aussi avec ce qui peut se passer dans le souvenir, quand tu cherches une image, tu essaies de la reconstituer, ça peut aller très vite, ça met parfois beaucoup de temps. Et tout d’un coup, ça disparaît.

B. J. : Tu dis qu’il y a une toile de fond qui ne change jamais. Pourtant lorsqu’on regarde attentivement il y a bien d’infimes variations. Il y a bien des plans vides qui sont superposés à des plans de personnes qui passent. Des moments où, du fait que c’est flou, ça se mélange presque parfaitement. La matière d’un plan se mélange avec celle de l’autre.

S. M. : Ah oui. Là aussi, ça a été techniquement difficile. Je voulais que tout glisse, que rien ne soit visible. J’avais plein de plans vides. Ces moments-là, je les ai utilisés bien sûr, pour faire apparaître les protagonistes et les faire disparaître, comme ils pouvaient entrer dans le champ et sortir du champ. Eux sortaient naturellement du champ et rentraient naturellement. J’ai utilisé souvent les morceaux qui étaient en avant de l’arrivée d’une personne, pour faire apparaître quelqu’un comme ça de façon très lente, avec des fondus très lents.

B. J. : Toi tu parles de fondus ?

S. M. : Pour moi ce sont techniquement des fondus. Des fondus d’entrée et de sortie… La seule difficulté a été technique, quand je mettais un fondu pour faire rentrer une image fixe, il y avait des moirages, parce que c’étaient les mêmes images, ça faisait des espèces d’éclipses sur les formes très laides, ça vibrait en entrant et ça vibrait en sortant. Il a fallu que j’essaie plein de trucs techniques que l’on trouve sur les logiciels de montage. Je voulais des choses très lisses, très clean. Je voulais justement que cet effet de flou ne soit jamais perturbé par quoi que ce soit en dehors de l’arrivée ou du départ d’une personne dans l’écran. Je ne voulais pas de technique visible, pas d’effets visibles pour surtout respecter l’image de départ, la polluer le moins possible

B. J. : Tu montes sur quoi ?

S. M. : Final Cut, toujours. C’est très bien, je peux tout faire. A moins de gros trucages. Mais je n’utilise pas tellement de trucages. Le tout, quand tu fais un film, c’est d’arriver à faire concorder deux choses simples. Souvent, les images, elles arrivent, il suffit de regarder autour de soi. Tu ne les as pas forcément au départ. Mais bon, moi je sais que je travaille beaucoup comme ça. Je ne tourne jamais. Je déteste avoir une caméra en main. Je n’aime pas photographier ou filmer les gens, ni être filmée. Pour moi, c’est très pénible. Je suis très timide avec la caméra, donc j’attends plutôt qu’une image s’impose. Je connais des gens qui font des heures de rushes et qui font un film avec. Des films magnifiques se font comme ça. Le problème n’est pas le résultat. C’est la méthode… moi, j’attends plutôt qu’une image s’impose à moi et à ce moment-là je vais la filmer. D’autant plus que là, c’était d’une discrétion absolue puisque ça rentrait complètement dans ma manière de travailler, c’est-à-dire que les autres ne me voyaient pas. J’étais derrière la vitre. Et je suis même partie. De toute façon je n’allais pas les pousser devant la vitrine. Je n’allais pas leur dire avancer reculer. Je n’aime travailler qu’avec le hasard.

B. J. : Pourrait-on dire, je vais remployer le terme accident pour le flou, que le flou de ce film serait un accident dans le sens où tu ne l’aurais pas vraiment désiré ?



S. M. : Oui, effectivement. Je ne me suis pas dit, je vais faire un film où je travaille le flou. Par contre, c’est quand même quelque chose qui revient de façon récurrente dans mes films. J’ai fait un film qui s’appelle Téléphone arabe pour lequel j’avais sollicité des gens. Il y en avait un premier qui regardait un épisode d’une série télé, avec une histoire très banale, un peu bête. Puis il racontait l’histoire face à la caméra. Son récit, je l’ai passé à un deuxième qui raconte à son tour, etc. Il y a eu comme ça vingt personnes. Evidemment, à la fin, il reste deux phrases qui n’ont rien à voir avec l’histoire de départ. Mais par contre, à l’intérieur de leurs récits, j’ai inséré des séquences de cette série très ralentie, des tout petits fragments de plus en plus flous, que les gens n’ont pas vu puisqu’il n’y en a qu’un qui a vu l’épisode. Donc là oui, c’est un travail délibéré sur le flou, j’ai décidé de les rendre de plus en plus flous. Les flous ici sont là pour signifier que l’histoire et surtout les images qui portent cette histoire disparaissent. Le flou de Transports amoureux est là pour montrer que le fait de vouloir se souvenir c’est en réalité oublier. Il y a du net qui devient flou et l’inverse.

B. J. : Est-ce que ça voudrait dire que tu aurais un rapport particulier au flou, ou est-ce que c’est juste une réponse formelle à des problèmes esthétiques ?

S. M. : Je dirais que dans le cas de Transports amoureux, ce n’est pas un hasard si j’ai voulu filmer cette vitrine. C’est parce qu’elle était floue. Si les gens avaient été nets, je pense que je m’en serais fichue comme de l’an quarante. Mais là, pour le propos que je voulais tenir, cette histoire d’absence, de réminiscence de l’autre, c’était parfait. Il y a une phrase que j’avais retenue de Proust, j’espère que je ne vais pas mal te la restituer… Elle était vraiment en relation avec ce film : « tout ce qu’on fait pour se souvenir d’un être c’est en fait en réalité l’oublier ». On peut dire que c’est la phrase source. Si tu veux, l’image floutée, c’est complètement idiot de dire ça, mais c’est que ce n’est pas net. Le souvenir trouble l’image. Et l’image est troublée par le souvenir. Et le flou, c’est ce qu’il y a entre une image nette et sa disparition. Enfin, pour moi.

B. J. : Ce serait alors plutôt un travail sur l’effacement ?

S. M. : Oui, je pense. Ce qui explique aussi plutôt ces fondus très lents.

B. J. : Aurais-tu dans ton travail des influences en picturales, littéraires, cinématographiques ?

S. M. : Richter est mon peintre préféré… J’aime beaucoup Magritte, Sophie Calle, les aquarelles de Sarkis, Buraglio, Warhol, Penone, les films de Tarkowski, d’Eugène Green que je viens de découvrir (c’est en même temps innocent, abstrait et mystérieux), Bergman mais tant d’autres que je n’ai pas là en tête et que je suis triste à l’avance d’oublier, Gus Van Sant ; pour l’écriture, c’est sûr, il y en a vraiment deux qui m’ont changé la vie : Proust et Perec et puis Pierre Michon, un contemporain que j’aime beaucoup… Le théâtre me plait beaucoup aussi et 2 personnes m’ont dit que Transports amoureux leur faisait penser à Claude Régy que j’aime beaucoup aussi. Mais Richter, ah oui, j’y ai pensé en faisant Transport amoureux.

B. J. : Ah oui ! On peut dire que tu as vraiment un rapport au flou…

S. M. : Je n’y ai pas pensé quand j’ai choisi la vitrine, c’est quand je travaillais sur les images au montage. J’ai même ressorti des cartes postales série 218 n° 1 que j’avais et que j’ai mis sur mon mur. Il y avait un nu, un crâne, un bouquet, une bougie aussi, des objets comme ça en carte postale qui sont flous. Ce sont de très beaux flous. Enfin, j’adore ce peintre. Je n’ai pas grand-chose à dire sur lui, j’ai été à une expo, j’étais complètement séduite par son travail. J’aime beaucoup le contraste qu’il y a entre les matières extrêmement lourdes, picturales, les toiles raclées et toutes ces toiles à la fois précises et floues justement où l’on reconnaît les objets, on reconnaît une femme, on voit que c’est passé à travers un filtre. Moi ça me fait beaucoup pensé au flou gaussien, cette fonction de filtre qui est dans Photoshop. Mais ce qui me plaisait, c’est que je n’utilisais aucun filtre et qu’on se pose la question : est-ce qu’il y en a un ou est-ce qu’il n’y en a pas ?

B. J. : C’est pourtant un travail sur la diffusion.

S. M. : Oui il y a bien un filtre, c’est la vitre. C’est un filtre naturel, c’est du verre, enfin un filtre matériel, ce n’est pas un filtre virtuel. Je fais la différence.

B. J. : Pour Je comprends moi aussi le langage des oiseaux, que je trouve très impressionnant, c’est un peu différent, mais c’est en même temps la même chose…

S. M. : Il s’agit de brouillage, plus que de flou. Mais, il y a des petits points communs. Je sens que ce sont des tics à moi aussi mais c’est en le revoyant là que je peux dire ça : les oiseaux sont arrêtés et ils prennent leur mouvement. J’y ai pensé en le revoyant et je me suis dit tiens c’est quand même quelque chose qui me turlupine. Cet arrêt et puis ce démarrage du mouvement. Pour ce film, je n’ai absolument pas tourné les images. Quand je te disais que je tournais un minimum, c’est vrai. Je suis allée chercher des images. Il y avait l’idée de prendre l’oiseau dans son individualité avec ce discours du documentaire très classique et puis tout d’un coup de passer à la masse. Où le discours dit que les oiseaux seuls ne peuvent pas se défendre mais le seul moyen c’est lorsqu’ils sont en groupe. Là, tu as ces images de groupe, de masse. Et on passe au noir et blanc aussi. On passe du discours télévisuel à un discours plus abstrait, celui de Rosa Luxembourg. Là, effectivement, ce qui se passe ce n’est pas du domaine du flou du tout, je ne l’ai jamais voulu, par contre c’est du brouillage. On a l’impression de la neige (de la télé). Ces espèces de vols très serrés, très denses avec des blancs et des gris, comme un brouillage. Ca c’était voulu.

B. J. : Tu as obtenu ça de quelles façons ?

S. M. : Ce sont des images piquées que je n’ai pas déclarées, des images de documentaires sur des oiseaux en Afrique, les Kéléas… Ce sont des oiseaux qui vivent en bandes très denses. Ils se déplacent par milliers, et voilà ça produit ces images abstraites ! Je n’ai rien fait dans ce film. Je suis allée simplement chercher les images. Je les ai quand même mises en noir et blanc, elles sont retouchées dans ce sens-là, et sinon la vitesse…

B. J. : En fait ce n’était pas simplement une question de rythme, c’est vraiment une question de travail de la matière.

S. M. : Oui, oui, c’est ça. Et trouver surtout l’image juste.

B. J. : L’image juste, c’est-à-dire ?

S. M. : Je savais que j’avais besoin d’images documentaires, j’en ai regardé beaucoup. Je n’ai pas choisi les premières, j’en ai cherché beaucoup pour trouver celle qui va vraiment me correspondre. C’est un peu comme les gens qui tournent. Ils vont faire énormément d’images pour ne retenir cinq ou dix minutes essentielles pour que le film ait un sens. Je trouve qu’on vit dans un monde où il y a trop d’images, donc ce n’est pas la peine d’en tourner beaucoup, il faut prendre les bonnes. Par exemple, j’ai voulu aller filmer des petits groupes d’oiseaux, mais ça ne fonctionnait pas, c’était mauvais. C’est sûr, les images idéales, elles étaient là. Tout dépendait comment je les montais ensemble pour que ça prenne sens, pour que ça soit efficace. De toute façon je préfère de loin le montage à la prise de vue. Pour moi le film se fait là.

Retranscription et commentaires : Bidhan Jacobs

Illustration : D.R. Sabine Massenet



Note :

(1) Nicole Brenez, Programme de la Cinémathèque française, juin 2004

Antonin Artaud : Pensée magique et expérience du cinéma


par Gabriela Trujillo

« C’est ici que se manifeste une sorte d’anarchie supérieure où sa profonde inquiétude prend feu ; et il court de pierre en pierre, d’éclat en éclat, de forme en forme, et de feu en feu, comme s’il courait d’âme en âme, dans une mystérieuse odyssée intérieure que personne après lui n’a plus refaite » (1).

« J’ai estimé (…) que le cinéma possédait un élément propre, vraiment magique, vraiment cinématographique, et que personne jusque-là n’avait réussi à isoler » (2).


Antonin Artaud (1896-1948) fut à la fois poète, critique d’art, théoricien de cinéma et de théâtre - le fondateur, pour ainsi dire, d’une pensée autour du geste artistique, qui projette la représentation dans un domaine psychique, intime, hanté de poésie.
On a souvent séparé chez Artaud ce que furent ses théories cinématographiques de sa réflexion sur le théâtre et la danse, la peinture et le dessin, ou de ses créations poétiques, picturales, de ses recherches « cognitives » au sein du surréalisme, ou en marge de celui-ci, et des tristement célèbres bouleversements psychiques dont il fut à la fois le héraut et la victime. Or, il nous semble tout aussi réducteur de séparer l’ensemble de sa création poétique et critique d’une pensée magique. Par pensée magique, nous désignons un ensemble de structures mentales qui échappent, voire même rejettent, la pensée rationaliste et logique, qu’elles aient trait à la magie, la sorcellerie, l’alchimie, l’occultisme, la pensée dite primitive, etc., favorisant ainsi la fonction opérative et donc expressive du phénomène magique. De cette manière, nous comprenons qu’essentiellement « la pensée magique est inhérente à l’inconscient »(3).
De son côté, une réflexion sur le cinéma pense les fondements, les conditions de possibilité d’une image, sa validité ontologique. La vulnérabilité d’une poïétique (4) du cinéma telle qu’on peut la considérer chez Artaud réside dans le fait que cette théorie pose comme énigme centrale de l’image le lieu même de sa genèse : « J’ai toujours, dit-il, distingué dans le cinéma une vertu propre au mouvement secret et à la matière des images »(5).
La théorie cinématographique d’Artaud, nourrie par sa création poétique, et redevable du « stupéfiant image » des surréalistes (6), contient en germe les principes du Théâtre de la Cruauté. Cette pensée globale découle en grande partie d’une assimilation des données ésotériques des traditions kabbalistiques, alchimiques (véritables paradigmes de synthèse iconographique), de la lecture d’auteurs comme Swedenborg, Jacob Boehme, Novalis et René Guénon ; d’autre part, la volonté d’une intervention active, directe et efficace sur la réalité est le propre de la magie (il ne faut pas oublier que dès la fin des années 1930 Artaud rédige des « sorts » destinés à ses amis) comme l’ont comprise les civilisations dites primitives.
Ce que nous voulons démontrer est que l’expérience cinématographique artaldienne peut être assimilable, dans sa forme et ses enjeux, à un rite de type magique. La dimension rituelle du cinéma, son pouvoir de fascination, ses atouts évocatoires et propitiatoires, en font pour le poète l’équivalent moderne de la sorcellerie (7).
Tout d’abord, la notion d’envoûtement est essentielle pour comprendre l’idée que se fait Artaud du cinéma. L’envoûtement est l’action, l’opération magique à travers laquelle l’individu subit une influence extérieure qui bouleverse sa manière de penser, et donc ses actes. L’envoûtement est aussi le résultat de cette action une fois que le corps est possédé ; de la même manière, pour le jeune poète français le cinéma réussit à posséder les corps pour les plonger dans un état qui est celui de la transe rituelle. Comme dans la pensée primitive telle que la définit Lévy-Bruhl, Artaud ne sépare pas le corps de l’âme, mais considère les individus comme ayant des dispositions qui sont « des réalités semi-physiques, sur qui l’on peut agir directement par des moyens magiques »(8).
Le cinéma, comme l’envoûtement, prend sa source dans le corps. Faire du cinéma c’est d’abord prendre forme, prendre corps sur la scène où se déroule l’action.
Un corps en mouvement : son évolution est galvanisée par le défilement (la technique qui permet la répétition à l’infini d’un même geste), ce qui donne une nouvelle puissance vibratoire à l’image. Tout au long des écrits d’Artaud, se dresse en filigrane le dynamisme de l’image cinématographique telle qu’il l’a conçue : naissant de son propre mouvement, dans une succession conçue comme uniquement dévorante, elle s’achemine vers une fusion avec la pensée avide du spectateur.
Cette fusion est rendue possible par un court-circuit du dispositif de projection, en investissant l’écran de propriétés neurologiques, puisque le cinéma « agit sur la matière grise du cerveau directement »(9). Dévorant l’espace même de la projection, l’hapticité de l’image artaldienne peut être rapprochée de celle de Jean Epstein qui déclare, au sujet de la relation entre le spectateur et le visage d’un acteur : «ce n’est même pas vrai qu’il y ait de l’air entre nous ; je le mange. Il est en moi comme un sacrement »(10). Les références au sacré (11) sont fondamentales pour comprendre la relation de voracité qui se tisse entre le spectateur et l’image, comme lors d’une cérémonie cannibale où l’Autre est dévoré afin de pouvoir assimiler ses pouvoirs.
On comprend mieux cette première perspective (le cinéma commence dans le corps) lorsqu’on rappelle qu’Artaud fut, avant tout, acteur. « En vertu d’une participation intime, l’image, comme appartenance, est consubstantielle à l’individu »(12) ; pour Artaud, l’acteur est un « signe vivant. Il est à lui seul toute la scène, la pensée de l’auteur et la suite des évènements »(13). D’où l’on peut affirmer que le corps devient le catalyseur, tel un médium qui reçoit et transmet : c’est lui qui prend en charge la représentation.
Chaque acte est une possession ; le geste, une mise au monde et une mise à mort. L’acteur devient signe, mais aussi flamme : le danger de mort est (dans) l’instant de la représentation, et le cinéma est le plus véritable des arts car il peut « étaler [nos actes] dans leur originelle et profonde barbarie »(14). Au théâtre comme au cinéma, les acteurs doivent « être comme des suppliciés que l’on brûle et qui font des signes sur leurs bûchers »(15).
Dynamique, l’acteur se définit par son geste, qu’il trace de manière unique et irréparable.
La fragilité de toute performance (danse, théâtre, mais aussi cinéma) tient à l’insaisissabilité du geste. En effet, le geste de l’acteur « nous sépare à peine du chaos »(16). Nous retrouvons ici l’une des caractéristiques principales de la définition du sacré : ce qui nous sauve(garde) du chaos, du néant. Le geste d’un acteur se veut donc définitif, irréversible, et pourtant répété à l’infini grâce à la technique du médium cinématographique.
Pour être ainsi efficace, et donc magique, le geste doit faire appel à un ordre primitif, de la même manière que le cinéma est le seul à cette époque à pouvoir « retrouve[r] comme la disposition primitive des choses »(17), un état antérieur au langage discursif et rationnel. Le film doit être fait de situations essentiellement visuelles, « ne provenant pas de circonlocutions psychologiques d’essence discursive » (18).
Par conséquent, l’un des objectifs du cinéma artaldien étant de pouvoir accéder à des forces primitives qui précèdent le langage, on peut assimiler l’expérience cinématographique à un rituel magique.
L’espace rituel, hétérogène, sera essentiel dans la formation par Artaud d’une théorie de l’espace de la représentation (cinéma, danse, théâtre). C’est une manière d’être au monde, de consacrer un lieu qui se veut différent de l’espace ordinaire, de l’usage commun, profane (19).
Parallèlement, l’appel à une antériorité primordiale assimile le temps du cinéma artaldien (le définit et le limite) à un temps mythique, proche du sacré. Le temps cinématographique est celui de la répétition, de l’insistance : un temps rituel. « Le cinéma (…) exige la rapidité, mais surtout la répétition, l’insistance, le revenez-y »(20), dit Artaud. C’est par la répétition du simple geste que se dessine le rite. L’incantation, la répétition d’un geste plastique ou sonore, rend propice l’acte magique : « le point de départ de la magie réside dans l’incantation »(21), a déjà énoncé le poète.
C’est pourquoi le cinéma non seulement exige la répétition, mais celle-ci est une condition inhérente de sa genèse. Au cinéma, les images, peuvent être répétées à l’infini ; leur magie s’étend par la machine et la projection à l’écran directement sur le spectateur : « c’est la supériorité et la loi puissante de cet art que son rythme »(22). Or, « cette espèce de griserie physique (…) communique directement au cerveau la rotation des images »(23). Par son rythme (la répétition, l’alternance des moments de lumière et d’obscurité), le médium possède en lui-même la capacité de mener le spectateur vers un état qui est proche de la transe.
De cette manière, ayant atteint cette dimension rituelle, le cinéma devient efficace : on ne doit pas négliger le « pouvoir d’action du film »(24) car il plonge le spectateur dans une atmosphère de vision qui lui permet de recevoir les vibrations du corps de l’acteur, et subir de cette manière des effets physiologiques proches de l’envoûtement.
Cet état de possession dans lequel nous plonge le cinéma est assimilable d’une part à une décharge électrique : Artaud insiste souvent sur le « pouvoir de galvanisation » (25) du cinéma, un « excitant remarquable »(26). Mais le cinéma « a surtout la vertu d’un poison inoffensif et direct, une injection sous-cutanée de morphine »(27) : il vise à envelopper le spectateur dans une atmosphère de «voyance», il implique une élévation de la sensation, pour en arriver à un état d’hyperacuité. Si l’on parle de transe, dans ce cas, c’est que la vision est devenue pur affect (28) : le ravissement cinématographique permet ainsi de voir, mais au-delà du visible.
Le cinéma n’est donc pas le fait de voir le réel, mais de transcender les conditions de la visibilité, aiguiser les sensations pour mener le spectateur ailleurs. Le cinéma tel qu’Artaud le définit est fait pour montrer le possible, l’impossible : le rêve, le merveilleux, « un monde qui puise ailleurs sa matière et son sens »(29).
En ce sens, l’erreur du cinéma est le réel, le pléonasme d’un certain naturalisme (la narration, le discours). La représentation traditionnelle, discursive, théâtrale, est comme le profane : un espace qui s’oppose au danger du cérémoniel. Cette indistinction est aussi le fruit de l’aliénation du cinéma par la machine, « une interposition technique qui déforme et annihile ce que l’on a fait »(30), mais surtout de l’aliénation économique et industrielle, qui finit par dérober à Artaud sa carrière, noyée dans « la vieillesse précoce du cinéma ».

La carrière d’Artaud est tronquée : il ne réussit jamais à diriger de film, ses scénarii sont à peine publiés. Le scandale de La Coquille et le clergyman (1928) de Germaine Dulac sonne le glas de sa passion cinématographique. Jusqu’en 1931, cependant, il jouera des rôles secondaires, le plus souvent dans des films mineurs. En revanche son jeu intense porte encore la trace de ses premiers espoirs, et demeure inoubliable.
Artaud a voulu faire participer le cinéma « au profond renouvellement de la matière plastique des images, à une véritable libération, libération non point hasardeuse, mais liée et précise, de toutes les forces sombres de la pensée »(31).
Il fallait libérer ce que le langage discursif avait piégé ; Artaud reste celui qui fait brûler ce qui reste captif entre les mots – entre les images.
Le cinéma, à travers la dynamique de la magie à laquelle il peut encore être assimilé, devait être «essentiellement révélateur de toute une vie occulte avec laquelle il nous met directement en relation »(32). Il n’aura pas tenu toutes ses promesses ; mais comme Rimbaud pour les mots, Artaud opère une véritable alchimie de l’image. A l’instar de l’auteur de la Saison en enfer, il pourrait résumer de cette façon son expérience cinématographique, l’une des plus extraordinaires aventures poétiques du septième art :
« Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges »(33).
Gabriela Trujillo

NOTES :

Antonin Artaud, « Héliogabale ou l’anarchiste couronné », in Œuvres Complètes, tome VII, Paris, éd. Gallimard, 1978, p. 131-132.

2 Artaud, OC III, Paris, éd. Gallimard, 1978, p. 71.

3 Sarane Alexandrian, Histoire de la philosophie occulte, Paris, éd. Payot, 1994, p. 10.

4 D’après R. Passeron, la poïétique est « la promotion philosophique des sciences de l'art qui se fait » in Recherches poïétiques, T.1, Paris, Ed. Klincksieck, 1975, p.16.

5 Artaud, in OC III, p. 65.

6 L. Aragon, art. IMAGE in « Dictionnaire abrégé du surréalisme », in André Breton, OC t. II, éd. Gallimard, Paris 1992, p. 846 (« Le vice appelé surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant IMAGE ».).

7 Les ethnologues opèrent une différenciation, dans la pensée magique, entre magie (blanche, bénéfique) et sorcellerie (maléfique). Même si pour Artaud le cinéma glisse graduellement de l’une vers l’autre de ces acceptions, nous employons indistinctement ces deux termes pour en souligner le pouvoir de subjugation dans la période qui nous occupe, à savoir de 1924 à 1929 environ.

8 L. Lévy-Bruhl, Le Surnaturel et la nature dans la mentalité primitive », Paris, éd. PUF, 1963, p. 111.

9 Artaud, OC III, op.cit., p. 64.

10 J. Epstein, cité par Nicole Brenez, « Jean Epstein contre l’avant-garde. » in Jean Epstein, cinéaste, poète, philosophe, éd. Cinémathèque française, 1998, p. 218

11 « Les rites et les représentations magiques (...) dépendent d’une notion identique ou analogue à la notion de sacré (…). Il y a des cérémonies magiques où se produisent des phénomènes de psychologie collective », Marcel Mauss et Henri Hubert, « Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux », in M. Mauss, Œuvres Complètes, tome I, Paris, éd. de Minuit, 1968, p. 19.

12 Lévy-Bruhl, L’Âme primitive, Paris, éd. PUF, 1963

13 Artaud, OC III, p. 64

14 Ibid, p. 19

15 Artaud, OC IV, Paris, éd. Gallimard, 1978, p. 14

16 Ibid, p. 78

17 Artaud, OC III, p. 20

18 Ibid, p. 19

19Roger Caillois, L’Homme et le sacré, Paris, éd. Gallimard, 1950, p.30

20Artaud, OC III, p. 63-64

21 Artaud, OC I (vol.1), Paris, éd. Gallimard, 1978, p. 203

22 Artaud,, OC III, p. 64

23 Ibid, p. 66

24 Ibid, p. 64

25 Ibid, p. 63

26 Ibid, p. 64

27 Ibid

28 La magie, pour Lévy-Bruhl, est une « connaissance essentiellement affective » (Le Surnaturel et la nature, op. cit., p. 226)

29 Artaud, OC III, p. 18

30 Artaud, « Lettre à P. Thévenin », in A. Virmaux, Antonin Artaud et le théâtre, Paris, éd. Seghers, 1970, p. 279

31 Artaud, OC III, p. 70

32 Ibid., p.66

33 Arthur Rimbaud, « Alchimie du verbe », in Une saison en enfer, Paris, éd. Gallimard, 1965, p. 140