jeudi 1 avril 2010

Entretien avec Edouard Beau (Searching for Hassan)


Entretien avec Edouard Beau pour Searching for Hassan

Photographe distribué par l'Agence Vu', Edouard Beau a tourné Searching for Hassan à Mossoul, au Nord de l'Irak, en suivant la Garde Nationale Irakienne pendant un mois et demi. En découle un documentaire subtil et pertinent, qui évite tout sensationnalisme, laisse une grande liberté au spectateur. Sensible aux moments d'attente, à ce qui relève du hors-champ et du non dit, à la tension présente dans de petits détails, au regard des enfants, témoins apeurés d'une situation susceptible de basculer à nouveau dans le chaos, Searching for Hassan constitue pour nous une réelle découverte. Quel est donc cet "autre" (le "terroriste" Hassan) que les soldats traquent sans cesse, sans jamais le voir ou l'entendre ? L'ombre d'eux-mêmes ? Peut-on garder son calme et sa capacité de jugement dans une telle situation ? Quel est l'état de la société à Mossoul et comment les anciennes minorités cohabitent ensemble ?

Le film a obtenu le prix du meilleur premier film au FID (Festival International du Documentaire) de Marseille en juillet 2010.

CineFabrika : D'où est venue l'idée de faire un tel film ?

Edouard Beau : Depuis 2003, je sillonne, photographie les campagnes kurdes, et les régions de Mossoul et de Kirkouk. De retour en France, je regardais beaucoup de vidéos sur internet ainsi que des films comme Redacted de Brian De Palma, Battle for Haditha ou Iraqi Short Films (de Mauro Andrizzi). J'avais très envie de rapporter un autre témoignage sur ce qui se passait là-bas, via un travail documentaire et photographique. En novembre 2007, on m'a proposé de partir photographier un bataillon de l'armée irakienne à Mossoul. J'ai accepté et j'y suis retourné avec une vieille camera prêtée par un ami Kurde. Voilà comment tout a commencé, dans une sorte d'urgence à raconter l'Irak.

CineFabrika : On dirait que tu es dans une situation assez particulière avec ce film. Pas enrôlé dans l'armée US mais dans un "bataillon" de kurdes irakiens ? Le film a tourné à Mossoul, au nord de l'Irak, dans une région majoritairement kurde ?

Edouard Beau : Attention, il faut rectifier. J'étais avec le 4ème bataillon de la Garde Nationale Irakienne, composé en très grande majorité de Kurdes, d'anciens Peshmergas sous les ordres du PDK, et de quelques Arabes pour la mixité.
D'ailleurs, Mossoul est une ville multi-ethnique et multi-religieuse, on y trouve des Sunnites, des Chiites, des Chrétiens, des Turcomanes, des Arabes et des Kurdes. Mais la ville est en plein chaos depuis plusieurs années. Cela se déroule dans l'indifférence complète... D'ailleurs, la ville est interdite aux journalistes ou autres documentaristes... Connais-tu beaucoup de films tournés à Mossoul ? Pour moi, il était important de montrer cette ville ancestrale et de parler d'elle. Car, plusieurs batailles sanglantes s'y sont déroulées, sans que personne ne soit au courant, et la tension est encore très présente là-bas.

CineFabrika : On sent une légère hostilité des militaires irakiens vis-à-vis de l'armée américaine. Pourtant ils sont censés être alliés. Peux-tu en dire plus ?

Edouard Beau : En 2003, quand je suis arrivé dans cette zone, les Kurdes ont accueilli les américains comme des libérateurs. De leur point de vue, c'était sans doute le cas n'est-ce pas (souvenons-nous des massacres perpétrés par les bassistes pro-Saddam et S. Hussein lui-même)? Mais en 2007, ils ont sans doute réalisé que les intentions réelles des Américains ne correspondaient pas à ce qu'ils pensaient au départ. Au fond, il est possible que les Kurdes doutent que les Américains soient capables de garantir la paix et la prospérité dans la région.

CineFabrika : Quel était le type de relation élaborée avec ces soldats ? On sent une grand complicité entre eux et toi.

Edouard Beau : En effet, j'ai été très proche de ces soldats pendant plus d'un mois. Cela dit, il ne faut pas se fier aux apparences, car ma relation avec la plupart d'entre eux était assez difficile. Les premiers temps, j'étais sans cesse obligé de justifier ma présence parmi eux, et je devais faire cela à chaque relève. Mais de manière générale, étant donné les dangers encourus lors de chaque sortie, chaque fois que l'on quittait la base, une sorte relation de confiance (une confiance totale) est née progressivement. Pour eux, je faisais partie de leur bataillon. Cela dit, à aucun moment, je n'accepte ni ne justifie leurs méthodes et leurs actes.


Cine Fabrika : Quel était ton parti pris initial ? Tu souhaitais filmer certains aspects de la guerre ? Les moments d'attente aussi, les patrouilles souvent infructueuses pour chercher des armes ou des adversaires...

Edouard Beau : Je n'avais pas de volonté clairement définie pendant le tournage, uniquement celle de témoigner et d'aller partout où il se passait quelque chose qui pourrait raconter, témoigner de la situation de cette ville. Enregistrer le réel, à tout prix, dans l'urgence, juste pour le geste, même s'il semble maladroit à première vue. Avec la caméra comme continuum de la pensée... D'ailleurs, le spectateur remarquera que je n'établissais pas de hiérarchie, n'avais pas peur d'enregistrer autant les temps morts que les sorties, les fouilles... Car tout cela faisait partie de ce grand désert des Tartares qui m'a accueilli en son sein. J'ai filmé la guerre comme elle venait, ne sachant pas la rationaliser ou l'expliquer. C'est au montage que le réel s'est imposé comme la seule histoire à raconter, sans sensationnalisme. Filmer la guerre telle qu'elle était, impalpable et pleine de contradictions. C'est le coeur même de ce film.

CineFabrika : Dans "Searching for Hassan", tu filmes du point de vue de la Garde Nationale Irakienne. Est-ce que tu as déjà voulu tourner de l'autre côté ? Le point de vue des "terroristes" selon certains ou de la résistance à l'occupation nord-américaine selon d'autres ?

Edouard Beau : A aucun moment, je n'accepte ni ne justifie leurs actes et leurs méthodes, je le répète. Cela dit, j'ai évidemment souhaité filmer de l'autre côté mais je pensais aussi que filmer la vie quotidienne de la Garde Nationale Irakienne était une expérience très intéressante et utile pour tenter de comprendre la situation. De toute façon je n'avais pas accès aux populations, ne parlant pas leur langue. Enfin, je prépare un nouveau film, et je n'ai jamais abandonné l'idée de tourner un film avec plusieurs points de vue.



Entretien réalisé par Olivier Hadouchi en juin 2009, revu avec le cinéaste en février 2010.

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